Genre : Fantastique, comédie dramatique
Année : 2000
Durée : 2h12
Synopsis :
Un couple stérile est obsédé par son désir d’enfant. En bêchant son jardin, l’homme découvre un bout de bois dont la forme évoque la silhouette d’un bébé. Contaminé par un fantasme qui va bientôt vampiriser tout principe de réalité, le couple traite ce bout de bois comme un véritable enfant. Jusqu’à ce que ce petit bout prenne tout à coup vie, grandisse de plus en plus, et se mue en une espèce d’ogre à l’appétit vorace et insatiable. Les provisions du couple n’y suffiront bientôt plus, et "Otik" devra trouver d’autres aliments pour se rassasier.
La critique :
Ce n'est pas la première fois que cela arrive mais le cinéma d'Europe de l'Est suscite à l'occasion les appétences de Cinéma Choc qui ne se prive jamais de s'aventurer vers des contrées moins fréquentées par les profanes. La Pologne, la Hongrie et l'ancienne Tchécoslovaquie ont été foulées à plusieurs reprises par ce modeste blog avec, quasi systématiquement, un sympathique concert de louanges et aussi de déceptions de voir ces oeuvres cantonnées à une honteuse confidentialité. Images du Vieux Monde, L'Oreille ou encore Mère Jeanne des Anges sont autant de petites pépites, voire même de chefs d'oeuvre que nous ne risquons pas d'en entendre souvent parler alors qu'ils ont énormément de choses à offrir. Le premier film mentionné peut même se targuer d'avoir intégré mon petit top 100. Toutefois, nous ne partirons pas y faire un city-trip ou remonter dans le temps quand la République Tchèque actuelle et la Slovaquie étaient copains comme cochons au point de ne faire qu'un pays.
Nous nous contenterons de la Tchéquie de nos jours en parlant d'un homme bien connu du site qui en a fait son apparition pour la première fois avec Lunacy. Une chronique rédigée par Inthemood dont l'absence s'est depuis fait longtemps sentir (reviens-nous stp !).
Ainsi, nous eûmes la chance d'entrer dans un monde déjanté, à contre-courant des poncifs du cinéma classique, où la part belle était faite à l'onirisme. Pénétrer dans l'univers délirant de Jan Svankmajer ne pouvait être que génialissime pour un tel blog qui a toujours raffolé de pellicules expérimentales. Il était alors logique de ne pas s'arrêter à cette seule et unique oeuvre. C'est ainsi que deux autres de ses créations débarquèrent avec Alice, qui m'avait personnellement déçu (j'en attendais sans doute trop) et Les Conspirateurs du Plaisir qui là m'assénait une belle claque. Et comme le dit le vieil adage "jamais deux sans trois", il ne pouvait en être autrement, surtout à la lecture du synopsis du tout nouvel arrivant nomméOtesánek. Malgré tout, je ne pouvais cacher ma crainte car ma mince exploration de sa filmographie avait rencontré la déception et l'engouement. Je me demandais logiquement dans quelle catégorie j'allais me retrouver.
ATTENTION SPOILERS : Un couple stérile est obsédé par son désir d’enfant. En bêchant son jardin, l’homme découvre un bout de bois dont la forme évoque la silhouette d’un bébé. Contaminé par un fantasme qui va bientôt vampiriser tout principe de réalité, le couple traite ce bout de bois comme un véritable enfant. Jusqu’à ce que ce petit bout prenne tout à coup vie, grandisse de plus en plus, et se mue en une espèce d’ogre à l’appétit vorace et insatiable. Les provisions du couple n’y suffiront bientôt plus, et "Otik" devra trouver d’autres aliments pour se rassasier.
Svankmajer, qui fait presque office de Dieu vivant pour les frères Quay et Tim Burton, n'a jamais caché son extatisme pour l'univers des légendes et le monde praguois reconnu des marionnettes. Il va se lancer dans l'adaptation cinématographique d'un conte populaire tchèque de Karel Jaromir Erben se déroulant vraisemblablement au Moyen-Âge ou un bébé en bois prend vie et finit par engloutir un peu tous ceux qui croiseront leur chemin (bergers, fermiers, etc..) jusqu'àêtre tué par une vieille dame qui lui fendra le ventre avec une serpe, libérant par la même occasion tous ceux qui avaient été mangés. La seule différence ici présente est que le réalisateur va transposer l'histoire dans la Tchéquie contemporaine. Svankmajer oblige, il n'en restera pas au stade de simple histoire contée sans aller plus en profondeur. Le contexte même de départ dépeint un couple terrassé par la tristesse, étant incapable d'avoir un enfant naturellement. Le fait de donner naissance est pour beaucoup l'acte suprême de réjouissance, le point culminant d'un couple car il permet de se créer une descendance commune issue d'un amour suffisamment fort entre un homme et une femme. Ca c'est évidemment en théorie, la réalitéétant beaucoup moins utopique. Merci Taratata pour casser tout l'enchantement ! Mais bon que voulez vous mon cynisme n'est plus à démontrer (de toute façon, les enfants me laissent au mieux indifférent).
On pourra aussi accuser une société oppressante et conditionnée par le fait que les individus doivent fonder une famille et avoir un enfant. Indirectement, cette doxa se répercute sur la psyché des individus, influencés, voire même sous l'emprise de celle-ci, évitant potentiellement les regards accusateurs de quidams. Si Karel ne montre guère de chagrin, sa femme sombre dans le désespoir, incapable de réaliser son rêve. Son homme va alors défier la nature et, par extension, la fatalité de la vie. Il va s'en émanciper, désireux de se désincarner de celle-ci pour obtenir ce qu'il désire. Cette révolte est Otik, un bout de bois inanimé que Bozena va directement en voir en lui son propre enfant.
Partagé entre l'empathie et l'inquiétude de voir sa femme basculer peu à peu dans la folie, il est le témoin de tous les traitements et soins que nécessitent un bébé. Il est lavé, nourri avec de la panade. On lui passe de la crème entre ces deux branches histoire de ne pas avoir le petit cul-cul tout rouge. Il est bercé. Bref, le cahier de charges de toute bonne maman qui se respecte est rempli. Cependant, elle n'en restera pas là.
Pour crédibiliser la situation dans laquelle elle se trouve, elle ira jusqu'à simuler une vraie grossesse avec des coussins de différente taille en fonction du mois de grossesse. Pour les vomissements, rien de tel que de bons cornichons trempés dans de la crème chantilly. Les fins gourmets apprécieront, s'ils ne se sont pas crevés les yeux avant. Svankmajer se fait plaisir mais jamais ne sombre dans le ridicule car ce qui pourrait s'apparenter à une farce n'est en fait que filmer le bonheur d'une femme d'être enfin mère. Et qu'on se le dise, on ne peut que ressentir une profonde empathie pour elle et ce même quand son Otik chéri prendra vie, se transformant en monstre glouton dévorant un peu tout et n'importe quoi, de la panade jusqu'aux humains. A ce moment, un autre processus clé dans la vie des parents sera de filmer leur impuissance face à l'adversité. En l'occurrence, un père et une mère face à l'acte inexcusable de crime perpétré par leur progéniture. Difficile alors de savoir quoi faire, de parvenir àêtre rationnel et juste.
Otesánek pose certains questionnements tout en fragmentant son récit en deux parties distinctes où la dernière verra la petite Alzbetka s'occuper du bébé tronc qui s'est retrouvé au sous-sol, à l'abri des regards indiscrets.
Certains viendront se dire que Otesánek n'est en fin de compte qu'une petite histoire innocente que l'on pourrait montrer aux enfants. Sauf que pas vraiment car voir des squelettes, des projections de sang ou la simple vue de ce bout de bois superbement bien animé pourraient en malmener quelques-uns. Sans compter que Svankmajer ne s'est pas gêné d'intégrer un papy très attiré par les jeunes filles, perdant ses moyens quand il voit leur petite culotte. Alzbetka aura quelques mésaventures avec lui mais rassurez-vous, rien de "très méchant". Ainsi, Otesánek est un film brillant, à réserver au moins aux adolescents, qui multiplie les bonnes idées, exploite son potentiel sans ne jamais tomber dans la caricature et sait être généreux en séquences marquantes.
Avec un rythme constant, le cinéphile est amenéà vouloir connaître le fin mot de l'histoire jusqu'à en ressortir déçu, en raison d'une fin trop expédiée. C'est d'ailleurs là le seul point véritablement dommageable.
Moins surréaliste dans son visuel que Lunacy ou Alice, Otesánek n'en est pour autant pas dépaysant donnant l'impression que la ville même est irréelle, gouvernée par des forces fantasmagoriques qui nous dépassent. Un simple potager rempli de choux, par le fait d'être mentionné dans le conte, acquiert une aura fantastique. La cohabitation entre le réel et l'imaginaire est une caractéristique qui séduit irrémédiablement. La majeure partie de l'histoire se déroulera dans le bâtiment où se trouvent des appartements plutôt vétustes qui sont les vestiges de la dictature communiste passée. Svankmajer préfère dans sa mise en scène filmer au plus près les personnages, occupant fréquemment tout l'espace de la caméra. Le procédé de filmer seulement la bouche quand le personnage parle est aussi utilisé. Au niveau de la partition sonore, on est sur quelque chose de sympathique mais vite oubliable.
Mention au générique de début excellent en son genre. Enfin, le film peut compter sur un casting solide d'acteurs impliqués parmi lesquels Veronika Zilková, Jan Hartl, Jaroslava Kretschmerová, Pavel Nový, Kristina Adamcová (dont la prestation en fillette précoce s'intéressant de très près au dysfonctionnement des spermatozoïdes suscite le respect), Dagmar Stribrná, Zdenek Kozák et Gustav Vondracek.
Sans être un fin connaisseur de Jan Svankmajer, je me risque à dire que Otesánek n'a pas usurpé sa réputation de faire partie des pièces maîtresse de sa filmographie. Outre le récit déjà fort amusant de base, le cinéaste s'amuse en allant parfois renâcler dans les effets spéciaux en 2D. Il faut aussi voir à quel point l'animation des vieux dessins de la légende est splendide. A ce niveau, on peut dire qu'il s'en est admirablement bien sorti dans son pari de remanier le scénario originel pour l'adapter au 21ème siècle. On tient là un film éminemment sympathique et qui plus est mature sur son approche de la fertilité, des problèmes de couple et de leur désarroi face aux malheurs s'enchaînant les uns après les autres. Faut-il risquer de se débarrasser de Otik pour finir alors de nouveau sans enfant ou alors se jeter en dehors des lois pour conserver son petit plaisir égoïste de parents ? Une grande question posée et à laquelle certains auront bien du mal de répondre, surtout ceux qui aiment certainement plus les enfants que moi.
Note : 16/20