Genre : Inclassable, expérimental
Année : 1951
Durée : 1h
Synopsis :
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La critique :
Bon... Euh et bien, tout d'abord "Bonjour", en espérant que vous allez tous bien n'est-ce pas ? Entre cette période interminable de Covid-19, il s'agit de prendre des nouvelles de tous nos lecteurs se comptant par centaines de milliers. Sinon, oui le film vu que vous êtes un peu là pour ça je pense. N'allez pas croire que je tenais à insérer de désespoir deux lignes supplémentaires pour essayer de compléter ce semblant de chronique que je m'apprête àécrire. En l'état, cela faisait des années que je tenais un jour à parler de cette bizarrerie mais dans l'incapacité totale de tomber dessus, je finis par abdiquer. Chose qui fut, peut-être, bénéfique pour mes neurones qui poussèrent un grand soupir de soulagement. Mais le destin fait finalement bien les choses et mon invitation à un site privé très confidentiel qui regroupe absolument tout film introuvable sur le marché légal m'a offert cette occasion que j'ai toujours voulu saisir à pleines mains. Il y a maintenant un bout de temps, Inthemoodforgore défrayait le paysage de Cinéma Choc en proposant un film qui n'allait pas se solder par un aller-simple aux toilettes pour les personnes les plus fragiles. Le nom psychédélique de ce long-métrage était Traité de bave et d'éternité. Cette curiosité réalisée par Isidore Isou allait donner naissance au mouvement lettriste qui entrait en confrontation totale avec le cinéma conventionnel. Le Septième Art a atteint ses limites et il est au bord de l'implosion. Le lettrisme annonçait la destruction du cinéma initiée par ce Traité de bave et d'éternité qui déboussolera à peu près tout le monde.
S'il en est le plus illustre représentant, il ne faut pour autant pas faire l'impasse sur des titres comme Le Film est déjà commencé ?, Hurlements en faveur de Sade et Tambours du jugement premier. Maurice Lemaître, Guy Debord et François Dufrêne apportent leur contribution via ces films et avec eux Gil Joseph Wolman. Gare à ne pas sous-estimer sa réputation d'être oublié car il fut l'un des quatre fondateurs de l'internationale lettriste qui est la branche radicale du lettrisme. Si vous avez lu le travail de Isou, je pense que vous commencez déjàà vous poser certaines questions sur ce qui va suivre et vous avez tout à fait raison. Ainsi, je peux sans trop de doute annoncer que vous allez lire l'un des billets les plus perchés du blog, à un point qu'il n'aurait pas du tout à rougir des créations les plus expérimentales sorties à ce jour. L'Anticoncept, tel est le nom de ce qui est considéré comme une rupture dans la rupture de l'histoire du cinéma. Ca vous situe d'emblée de jeu dans quoi vous allez vous embarquer mais ce n'est pas tout. Oh que non car ça ne fait que commencer !
L'image que vous venez de voir n'est pas une image de L'Anticonceptà proprement parler. En fait, le personnage est un spectateur comme vous et moi et la sphère blanche fut le support sur lequel fut projeté le film en 1951, quelques mois après le Traité de Isidore Isou. Oui vous ne rêvez pas, sa projection au cinéma-club "Avant-Garde 52" se fit sur un ballon-sonde gonfléà l'hélium. Une projection en relief d'une pellicule qui ne sera composée que de deux images consécutives se répétant (un rond blanc et un noir complet). Le rythme irrégulier de ces transitions engendre un effet stroboscopique qui offrait la voie à une perception toute autre de l'expérience cinématographique telle que nous nous la représentons. La séance sera, néanmoins, encore bien différente pour un épileptique, mais là est une autre histoire. A l'origine du lettrisme, Traité de bave et d'éternité séparait le son de l'image. Dans le cas présent, Wolman va plus loin encore par une négation du lien entre l'image et le mouvement. Il n'y a plus besoin d'écran, preuve en est avec le ballon-sonde éclairé d'un projecteur. Je ne chercherai pas à cueillir d'éventuels témoignages de cinéphiles qui se sont rendus ce jour-làà l'Avant-Garde 52. Je me suis déjà fait ma petite idée du ressenti des spectateurs à la sortie de ce truc qui sera très vite catalogué de subversif, jusqu'à taper un beau scandale et, en prime, une embrassade à la censure française la même année. Oui ça ne s'invente pas !
Je trouve qu'il serait bon d'intégrer la pensée de son auteur à travers ce paragraphe : "L'Anticoncept est l'utilisation maximum de chacun des éléments internes qui, constitués, formaient le concept.
L'histoire se libère de la voix par une narration atonique. La voix parle sans la contrainte des actions et apparaît importante (comme l'Opéra). Les actions se brisent avant l'accomplissement et se comblent par un texte anachronique où le TON achève. Comme les unités mégapneumes ont créé des sonorités inédites, cette désagrégation pour la découverte de l'unité est la période transitionnelle et le départ d'une nouvelle amplitude des arts. L'Anticoncept rend le concept subjectif et muable par la réaction des spectateurs, commence une phase physique". C'est exactement ce que j'ai dit ce matin à la boulangère en allant chercher mes deux baguettes. Pas sûr qu'elle veuille retaper la conversation avec moi après ça. Plus sérieusement, ça laisse songeur sur l'état mental du cinéaste. Mais qu'en est-il du film en lui-même ? Pas grand chose en soit vu qu'il n'y a rien à voir, ni action, ni personnages, ni quoi que ce soit. Il y a juste deux images se répétant à l'infini comme je l'ai dit auparavant. La bande son est totalement découplée et se résume à des réflexions sur la vie, l'amour et l'art à travers des phrases qui auraient été rédigées par un Jacques Rivette sous un cocktail d'absinthe et champignons hallucinogènes.
Les allergiques aux phrases pompeuses risqueront fort bien de hurler devant cet ensemble de phrases abracadabrantes dont les exemples mémorables ne manquent pas entre "Dans l'allée circulaire, il y a des fausses lunes de lumières électriques", "L'acte vital prend des proportions sadiques de cataclysme" ou encore "Il jonglait très vite entre les sentiers battus avec les mots usés pour ne pas les voir ériger des phrases fragiles qui tombaient avant l'entendement". Des phrases qui ont sans doute guidées Google et Facebook pour leur permettre d'atteindre des sommets. Les plus téméraires pourront oser lâcher lors de la rupture fatale à leur bien-aimée : "Square du Temple, tu me mords au creux du pouce et chaque jour, j'arrache la plaie de la croûte". Maintenant, pas sûr que ça la fasse revenir dans vos bras. Vous pourrez alors vous enorgueillir dans les toutes dernières minutes d'une contemplation auditive de mégapneumes. Késako ? Il s'agit là de poésie lettriste oùà la lettre se substitue le souffle aux moyens de diverses cadences respiratoires. Dans la pratique, ça donne un mix assez insolite entre les bruits que l'on entend dans la section des fous incurables et ceux d'un chenil dans lequel se sont déversés une grosse quantité de gaz hautement radioactifs. Ce n'est pas sans s'éloigner d'un lyrisme certain que vous pourrez dédier à votre fiancée lorsque vous lui demanderez sa main au restaurant. Toutefois, les chances qu'elle s'étouffe volontairement avec la bague que vous lui avez offerte ne sont pas négligeables.
L'Anticoncept est une réalisation véritablement fascinante qui ne sait pas dûment s'expliquer, si je puis me permettre, avec des mots. Il faut simplement le voir pour le croire et c'est d'autant plus exaspérant qu'il est quasiment introuvable sur le web traditionnel. Il ne "se raconte" pas comme vous avez pu le lire avec une approche littéraire traditionnelle qui tient plus d'une bonne blague que d'une analyse détaillée. En cela, on tient là le film idéal que vous pouvez projeter, pour ceux qui l'auront trouvé, quand vous triez des dossiers, faites le repas ou retapissez vos murs vu qu'il n'y a rien à voir. Et dites-vous bien que nous ne sommes pas au niveau de Tambours du jugement premier qui n'a même plus d'écran ou de pellicule, le film étant simplement lu in situ. L'Anticoncept, mascarade cinématographique pour artistes malades ? Il serait fort bien compliqué que de refuser ces reproches que certains lui adresseront. On ne pourra pas non plus nier que 2 minutes de visionnage suffisent au lieu d'une heure (si l'on excepte les mémorables mégapneumes). A ce jour, l'Internet français n'a jamais encore offert une chronique àL'Anticoncept, ce que l'on peut tout à fait comprendre vu le niveau de l'engin.
Cette hérésie est désormais révolue car quasiment rien ne peut égaler cette combinaison de foutage de gueule transcendantal et d'audace audacieuse. Sur ce je m'en vais me promener au Square du Temple arracher les croûtes de mes plaies sous une fausse lune de lumière électrisant les mots usés sadiques.
Note : Croûte/20