Genre : Drame, pinku eiga (interdit aux - 16 ans)
Année : 1974
Durée : 1h15
Synopsis :
La sublime épouse d'un PDG refuse de se soumettre aux fantasmes de son mari. Frustré, ce dernier demande à l'un de ses employés modèles de l'initier à des plaisirs interdits.
La critique :
Il est vrai que cela fait maintenant quelques mois que vous vous remettez d'une rétrospective de belle taille consacrée au talentueux Koji Wakamatsu, considéré comme l'emblème d'un genre retombé en désuétude et qui n'a jamais eu de réel équivalent cinématographique en Occident. Vous vous disiez que le pinku eiga deviendrait un lointain souvenir. Une grossière erreur que voici car je ne l'ai pas oublié et du tréfond de l'un de mes disques durs attendait sagement un titre dont la destinée était de se retrouver tôt ou tard sur ce blog que vous chérissez (rires !). Exit le thaumaturge Wakamatsu et place à d'autres personnages qui ont donné leurs lettres de noblesse à un genre qui, à l'instar de la Nouvelle Vague japonaise, émergea dans un contexte de bouleversements sociétaux.
En fait, c'est exactement le même cheminement que je vous présente ad vitam aeternam dans chaque chronique du genre. Le danger de la télévision qui impacte sur les recettes des maisons de production qui n'ont d'autres moyens que de repenser le Septième Art. La population voulait de la nouveauté et leurs revendications seront entendues. Plusieurs genres émergeront et parmi eux le pinku eiga qui pourra compter sur la chasse aux sorcières du gouvernement japonais, désireux de se débarrasser de la pornographie sur son sol pour faire de leur pays quelque chose de présentable pour les JO.
Avec Neige Noire de Tetsuji Takechi sorti en 1965, ce fut le premier pinku eiga à marquer l'histoire, bien que les tout premiers remontaient aux années 1962 - 1963. Beaucoup s'engouffraient dans ce marché lucratif nécessitant peu de moyens. Le pinku était en plein essor et son prolongement, par l'intermédiaire de la Nikkatsu, allait aboutir au roman porno. Une appellation avant tout marketing qui ne se différentiait guère du pinku. A partir de l'an de grâce 1971, les nombreux films érotiques produits par la Nikkatsu seront désignés comme ceci. Noboru Tanaka, Tatsumi Kumashiro et Akira Kato sont autant de figures reconnues des laudateurs. A ceux-ci peut se rajouter Masaru Konuma qui, bien malgré lui, se lança dans cette aventure, suite à la popularité déclinante de ses films.
Obsédé par le fait de devenir réalisateur, il fut conscient du potentiel de l'érotisme et s'y jeta de toutes ses forces au point d'en devenir un incontournable. La popularité fut suffisante pour que son oeuvre soit exploitée à l'international, quoique la disponibilité physique ne soit guère éloquente. Nous n'en serons qu'à moitié surpris (#letéléchargementcestmal). Déjà présenté dans les colonnes éparses du blog avec La Vie secrète de Mme Yoshino et Une Femme à Sacrifier, il était plus que temps de parler de sa troisième oeuvre renommée qui est Fleur Secrète.
ATTENTION SPOILERS : La sublime épouse d'un PDG refuse de se soumettre aux fantasmes de son mari. Frustré, ce dernier demande à l'un de ses employés modèles de l'initier à des plaisirs interdits.
Comme il est de coutume, le pinku eiga ne boxe aucunement dans la case de la pornographie telle que nous la connaissons où seule la vacuité y règne en maître. Outre qu'il y ait un véritable scénario derrière tout cela, il y avait une volonté de faire du cinéma. Le travaux esthétiques et artistiques y étaient recherchés par ces véritables artisans qui avaient de l'ambition autre que pousser les hommes à se ********* devant l'écran. Bon, n'espérez toutefois pas une histoire de grande ampleur avec moult retournements de situation. L'intrigue est généralement rudimentaire mais elle a le mérite d'exister. Dans le cas présent, Fleur Secrète va filmer deux mondes qui finiront par se rencontrer. D'un côté, une richissime famille avec à sa tête un patron un peu à côté de la plaque qui est délaissé par sa superbe femme. A son grand regret, on le retrouvera en train de se faire plaisir avec la servante qui n'apprécie guère ses lubricités à base de chenilles. Le milieu bourgeois est en pleine crise.
La magie du mariage s'est éteinte et avec elle l'émotion, la tendresse, la complicité et les plaisirs de la chair. Leur manoir n'est plus qu'une coquille froide et hostile où plus rien de chaleureux n'y flotte. Le grand manitou de l'entreprise, en découvrant la passion de son employé Katagiri pour le bondage, va lui supplier de l'aider à raviver l'extase des sens de son épouse.
Ce petit salarié est issu d'un tout autre environnement. Son enfance a été profondément marquée par la vision de sa mère forniquant avec un G.I afro-américain qu'il a abattu en lui subtilisant son arme. Sa très chère matriarche tapine en plus d'être castratrice, étouffant son fils de 30 ans qui n'a pas encore les moyens de prendre son envol. Elle a également un petit marché sous-terrain où elle organise des séances photo clandestines de femmes soumises au bondage à destination de clients richissimes. Via ces photographies personnalisées, elle récolte un pécule supplémentaire. Par cette subtilité de filmer un employé photographiant ces belles nymphes saucissonnées et suspendues, Konuma nous rappelle que nous sommes au même niveau que ce petit marchééthiquement discutable car nous contemplons chacune de ces scènes. Le spectateur est comme souvent relégué au rang de voyeuriste.
Ainsi, ce PDG a pour mission de convertir sa femme aux sévices sexuels, lui faire découvrir de nouvelles sensations qui lui sont jusque là inconnues pour la transformer. En lui faisant aimer la domination sexuelle, il espère à son tour jouir de sa toute puissance masculine et, comme c'est le cas dans le marché du travail, être celui qui commande.
Par cet acte, Fleur Secrète renvoie au concept de la société patriarcale japonaise encore très forte dans ces années-là. L'homme a le pouvoir d'imposer sa puissance sur la femme et ce jusqu'à son corps même. Le but final étant de la conditionner pour qu'elle devienne une poupée façonnée selon ses désirs. Confiée à Katagiri après un enlèvement, elle est séquestrée dans le domaine familial où le processus se mettra en place, tout en rapportant l'évolution de la situation au chef commanditaire. Le seul hic étant que le trentenaire, qui n'a apparemment jamais entretenu de liens forts autres que maternels, va tomber amoureux de ce qu'il considère comme la plus belle femme qu'il ait jamais vu.
Si la demoiselle est logiquement représentée comme la plus grande victime de cette machination, elle n'est pas tout à fait la seule. Katagiri a lui aussi ses souffrances et ses plaies béantes créées par sa mère qui ne fait que le manipuler et l'influencer depuis des années. Alors qu'il rencontre pour la première fois l'amour, il ne peut en jouir pleinement, au courant de sa condition de mariée, sans compter sa mère qui refuse qu'il ne la quitte.
Comme à son habitude, Konuma n'est pas le genre de cinéaste à faire dans la dentelle. Preuve en est avec ses deux précédents métrages que j'ai cité dans l'introduction. Le cinéphile est noyé sous un déluge d'obscénités allant du viol au bondage en passant par le traditionnel lavement à la seringue. La femme est reléguée au rang d'objet destinéà assouvir les satyriasis des mâles. En 2020, il ne fait aucun doute qu'une telle oeuvre serait tout bonnement impossible à sortir sans s'attirer sur elles une avalanche de remarques véhémentes à son égard. Pourtant, jamais le film ne paraît vulgaire en raison d'une mise en scène soignée et d'une recherche esthétique dans les tortures filmées (oui, oui !). Certains accuseront à raison Fleur Secrète de redondance dans les traitements proposés.
Il est inutile en soi de critiquer la narration qui n'a jamais eu pour prétention de viser haut mais les limites se font parfois sentir et nous sommes heureux que la faible durée réfrène l'apparition d'un agacement qui nuirait sur la durée.
Comme il fallait s'y attendre avec Konuma, les intentions du roman porno sont respectées. Le niveau de son professionnalisme est toujours aussi satisfaisant. Si les décors restent relativement basiques, le travail effectué sur ceux-ci permet au spectateur d'être bercé par une belle image. On pense au jardin qui prend une toute autre dimension par la simple présence d'immenses parterres de roses. Cette dualité entre le romantisme floral et la situation du couple s'affrontant est autant originale et osée que touchante. Il est à noter, mais je suppose que vous vous en doutez, que tout acte de pénétration en gros plans est proscrit, ainsi que le moment délicat à passer pour la femme après l'injection d'un bon litre d'eau dans l'anus. Malgré la perversité inhérente, une certaine forme de pudeur est de mise. Pour la partition sonore, elle est invisible pour nos oreilles tant elle n'apporte finalement rien aux événements. Et chose à souligner, la qualité des acteurs frôle le très bon.
Optant pour la carte du réalisme plutôt que de surjouer, ils s'engouffreront même à de très rares reprises dans un humour qui fait toujours mouche. Du bon boulot ! On citera Naomi Tani, Nagatoshi Sakamoto, Yasuhiko Ishizu, Hiroko Fuji et Hijiri Abe.
En conclusion, le roman porno ne fait que revendiquer sa suprématie sur notre cinéma érotique et surtout pornographique. S'il y a évidemment des exceptions, notre marché fait pâle figure et a beaucoup à apprendre de ce courant sombrant de plus en plus dans l'anonymat. Et en cela, Fleur Secrète a de solides arguments pour justifier son visionnage avec d'une part sa grande intelligence et d'autre part ses indiscutables qualités de réalisation. Maintenant, il est vrai que ce n'est pas le genre de pellicule qui fera l'unanimité. Trop borderline pour être décemment accepté de tous, il n'est pourtant aucunement ce type de films que l'on cherche à abattre aveuglément en 2020 car considéré comme irrespectueux de la femme. Bien au contraire, Konuma ne se gêne pas de faire transparaître toutes les vicissitudes de l'homme qui apparaît peu flatteur face à la pureté de la femme.
Opinion difficile à saisir par ceux qui notent à chaud sans faire preuve de réflexion sur ce qu'ils ont vu. Et comme c'est dans l'air du temps de juger le passé avec notre regard moderne, ce n'est certainement pas demain la veille que le pinku eiga acquérera un regain de popularité. Quoique c'est peut-être finalement mieux comme ça de le cacher à l'abri des mauvais regards.
Note : 14/20