Genre : Expérimental, inclassable
Année : 1957
Durée : 20 min
Synopsis :
Un jeune homme amoureux, et soucieux de sa cravate mauve, achète une fleur pour sa belle chez une marchande de tête mais la belle n'est pas enthousiasmée par le cadeau. Le jeune homme retourne chez la marchande pour changer de tête.
La critique :
Attention, ici, sacré film de barge réalisé par un auteur que l'on ne présente plus en la personne d'Alejandro Jodorowsky, réalisateur vénéré par beaucoup de cinéphiles. Pour autant, comme pour un certain nombre de cinéastes, les premiers films ne sont pas toujours ceux qu'on cite en premier et Jodorowsky fait partie de ceux-là. L'auteur d'oeuvres cultes comme El Topo ou La Montagne Sacrée démarra sa carrière en 1957 avec un court-métrage peu cité, au nom énigmatique de La Cravate, et qui annonce déjà le style unique du réalisateur porté sur l'imagination, le ton provocateur comme ce fut le cas de plusieurs de ses films (mais pas pour celui-ci). Inévitablement, on tient là un réalisateur à part.
On retrouve cependant peu d'informations sur ce récit hors norme d'une courte durée qui fait que ma chronique sera plus courte que prévue. Qu'à cela ne tienne, bienvenue pour une plongée dans la tête d'un cinéaste mais aussi scénariste de bande dessinée comme il a pu s'illustrer avec la très violente série, en 4 tomes, Borgia que je vous recommande au plus haut point ! Mais l'heure n'est pas à parler bande dessinée mais cinéma. Sans plus attendre, passons à la critique.
ATTENTION SPOILERS : Un jeune homme tente de séduire une femme qui est attirée par son corps mais qui repousse son visage. Désespéré, le jeune homme passe devant un magasin où l'on change les têtes ; il décide donc de changer de tête. Vous l'avez compris, on ne se retrouve pas en face d'un banal film mais bien en présence d'une véritable curiosité expérimentale qui ne plaira pas à tout le monde. Il fallait y penser de changer de tête comme on change une ampoule. Le résultat est il déjà de qualité similaire à ses plus grands films ? N'abusons quand même pas mais La Cravate est inévitablement un film intéressant et intriguant, hypnotisant le spectateur pris dans l'imaginaire de ce curieux réalisateur.
Cela est en grande partie dûà tout un tas de facteurs, à commencer par l'atmosphère unique et des décors purement théâtraux. Clairement, à aucun moment, le film ne se montre un poil de cul conventionnel et s'affiche avant tout comme un film théâtral donnant l'impression d'assister à une, vous l'aurez deviné, pièce de théâtre.
Tourné avec peu de moyens, on peut voir que de nombreuses structures sont faites de cartons et que les effets spéciaux n'en sont pas car chaque changement de tête équivaut à se concentrer sur une autre séquence. De même, le jeu d'acteur se centre uniquement sur l'expressionnisme. Pas la moindre parole, le moindre bruitage ou le moindre pet de travers, le film est muet de A à Z et seule la musique permanente résonne durant la très courte durée de 20 minutes top chrono. A noter que le personnage principal sera incarné par Jodorowsky lui-même mais que j'ai personnellement trouvé insupportable avec ses mimiques d'idiot du village. Dès lors, La Cravate s'affiche avant tout, pas seulement, comme une oeuvre expérimentale mais comme un pur film d'auteur et le traitement, ai je besoin de le répéter, ne plaira pas à tout le monde, si ce n'est aux fans de Jodorowsky.
Pour autant, s'arrêter à une simple pièce de théâtre surréaliste que n'aurait pas reniéBuñuel serait une grave erreur car il est porteur d'un message sous-jacent de part sa dénonciation de la superficialité des rapports amoureux et des sites de rencontre à venir.
En effet, la dénonciation est évidente en mettant en scène une femme qui ne se soucie guère de la personnalité de son prétendant mais uniquement de son visage. Le réalisateur met le doigt sur une certaine forme de superficialité, à ses yeux, où seul le physique importe dans une relation amoureuse. Plus encore, le contexte du court-métrage mettant en scène un magasin de tête préfigure de manière symbolique les sites de rencontre où seul le visage importe pour séduire. Tout romantisme est balayé pour laisser place à une sorte de supermarché du bonheur basé seulement sur l'apparence.
Dans sa course pour la beauté, cet étrange personnage en oubliera avant tout son style et sa personnalité pour réaliser par après que le physique ne fait pas tout. Le film se clôturant dans une belle fin où le personnage récupère sa tête originelle conservée chez la vendeuse secrètement attirée par lui. Fin du récit.
En conclusion, La Cravate est une oeuvre totalement inclassable dans le monde cinématographique. Faisant plus office de pièce de théâtre que de film à proprement parler, l'oeuvre impressionne devant la qualité des décors bien mis en évidence par une caméra soignée et sa tonalité artistique vraiment intéressante à observer. Loin de là, le film est loin d'être con ou bêtement surréaliste et met en évidence la société de demain où les rapports amoureux et la drague sont connectés et réduits à un seul paramètre. Selon Jodorowsky, la séduction ne peut se faire qu'en mettant en avant la personne dans son entièreté et on ne peut pas lui donner tort. Un premier essai fort intéressant mais, vous vous en serez douté, impossible à noter. Chronique déjà finie mais j'avoue ne pas sincèrement savoir quoi dire de plus.
Note :???