Genre : science-fiction, anticipation, expérimental
Année : 1962
Durée : 28 minutes
Synopsis : L'histoire débute à Paris, après la " Troisième Guerre mondiale " et la destruction nucléaire de toute la surface de la Terre. Le héros est le cobaye de scientifiques qui cherchent à rétablir un corridor temporel afin de permettre aux hommes du futur de transporter des vivres, des médicaments et des sources d'énergies : "D'appeler le passé et l'avenir au secours du présent". Il a été choisi en raison de sa très bonne mémoire visuelle : il garde une image très forte et présente d'un événement vécu pendant son enfance, lors d'une promenade avec sa mère sur la jetée de l'aéroport d'Orly.
La critique :
A la fois réalisateur, écrivain, illustrateur, traducteur, photographe, éditeur, philosophe, essayiste, critique, poète et producteur français, Chris Marker est évidemment un artiste prolifique et éclectique qui se passionne surtout pour l'Histoire et le travail de la Mémoire. Sa carrière cinématographique débute dès les années 1950. Au fil de ses voyages, de ses rencontres et de ses pérégrinations, Chris Marker réalise plusieurs essais documentés, entre autres, Dimanche à Pékin (1956), Les Astronautes (1959), et surtout Les Statues Meurent Aussi (1953).
Censuré pendant plus de dix ans pour son caractère anti-colonialiste, ce dernier documentaire marque durablement les esprits. Ainsi, Chris Marker travaille et collabore avec plusieurs artistes éminents, notamment Costa-Gavras, Yves Montand, Alain Resnais, Haroun Tazieff et même Akira Kurosawa.
Puis, dans les années 1950, Chris Marker découvre, avec effroi, toute l'horreur des purges staliniennes. Dans les années 1960, le cinéaste est au faîte de sa gloire. Il réalise successivement La Jetée (1962) et Le Joli Mai (1963), deux métrages qui vont marquer durablement sa carrière cinématographique. En outre, c'est surtout La Jetée qui va devenir son oeuvre la plus proverbiale. Construit comme un roman-photos composé presque uniquement d'images fixes, La Jetée va bientôt s'octroyer le statut de classique du Septième Art. Le court-métrage marque également une rupture rédhibitoire avec les années militantes (le Parti Communiste...) du cinéaste.
Plus qu'un film d'anticipation et de science-fiction, La Jetée s'apparente davantage à une fable sur la mémoire, le temps qui passe et le rapport que l'homme moderne entretient avec l'image.
A l'orée du consumérisme, Chris Marker revêt déjà les oripeaux d'un visionnaire. Pourtant, La Jetée s'inspire grandement d'un autre classique du cinéma : Sueurs Froides (Alfred Hitchcock, 1959). A l'instar du maître du suspense, Chris Marker propose à son tour une plongée vertigineuse dans les anfractuosités de la psyché. Très vite, La Jetée est encensé et même adoubé par les critiques et la presse cinéma. Le court-métrage devient le nouveau parangon du genre science-fictionnel en obtenant plusieurs récompenses éminentes, notamment le Prix Jean Vigo et le Prix Giff-Wiff en 1963.
Parallèlement, La Jetée s'installe durablement dans le classement des "cent meilleurs films de l'histoire du cinéma selon le Festival international du film de Toronto" (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Jet%C3%A9e).
De surcroît, La Jetée va influencer plusieurs générations de films et de cinéastes. En 1996, Terry Gilliam réalise L'Armée des 12 Singes, le remake hollywoodien de La Jetée. Mais le cinéaste américain a une vision eschatologique de cette plongée inexorable et du temps qui passe. Le speech de La Jetée est dont le suivant. Attention, SPOILERS ! L'histoire débute à Paris, après la " Troisième Guerre mondiale " et la destruction nucléaire de toute la surface de la Terre.
Le héros est le cobaye de scientifiques qui cherchent à rétablir un corridor temporel afin de permettre aux hommes du futur de transporter des vivres, des médicaments et des sources d'énergies : "D'appeler le passé et l'avenir au secours du présent". Il a été choisi en raison de sa très bonne mémoire visuelle.
Il garde une image très forte et présente d'un événement vécu pendant son enfance, lors d'une promenade avec sa mère sur la jetée de l'aéroport d'Orly. Tout d'abord, il faut replacer La Jetée dans son contexte historique, pour le moins houleux et nébuleux. Au début des années 1960, une troisième guerre mondiale est plus que jamais d'actualité. Américains et soviétiques sont en pleine guerre des missiles. Le monde entier vit dans la peur et la terreur de déflagrations atomiques et nucléaires.
Chris Marker décide de transposer cette paranoïa ambiante dans un véritable contexte de belligérances. Ainsi, l'action de La Jetée se déroule presque essentiellement dans l'aéroport d'Orly. Les premières photographies exposées ont le mérite de présenter les inimitiés. Ainsi, le court-métrage montre une capitale française à l'agonie et réduite en cendres.
Après la Troisième Guerre Mondiale, les rares survivants croupissent dans les égoûts parmi les rats et les décombres. Pourtant, dans ce monde en plein marasme, ce sont toujours les scientifiques qui régentent et forment une véritable oligarchie. Plusieurs cobayes sont donc envoyés dans le passé pour récupérer des vivres et des médicaments. L'objectif ? Revenir à la surface de la Terre pour construire une nouvelle civilisation... Mais laquelle ? Et sur quels fondements ?
Telles sont les questions obsessionnelles qui semblent tarabuster Chris Marker au fil du récit. A la fixité des images-photos, s'oppose le mouvement d'une boucle temporelle et incoercible. Pour comprendre son présent et son avenir, l'Homme doit rallier et relier le passé. Ce n'est pas un hasard si la psyché du héros principal (appelé"l'homme" tel un individu anonyme) est fixée à une autre réminiscence de son passé et plus précisément de son enfance : le visage d'une femme dont il est éperdument amoureux.
Sans le savoir, l'homme vient d'assister à sa propre mort. En l'état, difficile d'en dire davantage. La Jetée, c'est avant tout l'histoire d'un homme qui poursuit son propre fantôme, tout en étant victime d'une temporalité (passé, présent et futur) qu'il ne parvient jamais à comprendre. Avec lui, c'est aussi un monde qui vacille, titube, chancèle, dérape et s'écroule. Vous l'avez donc compris : La Jetée est un film résolument pessimiste sur notre devenir. Ce n'est pas un hasard si Chris Marker propose une longue séance se déroulant dans un musée. Cet endroit, qui s'apparente à une sorte de sanctuaire mémoriel, préfigure les derniers vestiges de notre civilisation.
En outre, Chris Marker se focalise essentiellement sur des animaux empaillés qui apparaissent à la fois comme des trophées et les témoins bêtas de notre propre barbarie. Bref, nul doute qu'une telle oeuvre, à la fois poétique, philosophique, métaphysique, psychanalytique et eschatologique, mériterait un meilleur niveau d'analyse.
Note : 18.5/20