Genre : Thriller, science-fiction (interdit aux -12 ans)
Année : 1998
Durée : 1h25
Synopsis :
Max, brillant mathématicien, souffrant de migraines intolérables, est néanmoins sur le point de faire la plus grande decouverte de sa vie : décoder la formule numérique qui se cache derrière le marché des changes. C'est alors que tout bascule dans un immense chaos. Il est a la fois poursuivi par une grande firme de Wall Street qui souhaite dominer le monde de la finance, et par des cabalistes qui tentent de percer les mystères enfouis derrière les nombres secrets.
La critique :
Darren Aronofsky fait partie de ces réalisateurs contemporains adulés et plébiscités par la population mais qui ne manque pas de susciter une certaine forme de polémique chez les cinéphiles en raison d'un ton très prétentieux émanant de ses oeuvres. Il est aussi ce genre de réalisateur dont le grand public vante les mérites sans particulièrement connaître son oeuvre. De fait, quand on formulera une demande sur un groupe Facebook pour avoir un grand drame ou un film choc, le nom de Requiem For a Dream ressortira systématiquement. Sans surprise, vous aurez deviné qu'il s'agit là du film le plus connu du réalisateur mais, en revanche, le restant de sa filmographie est plus confidentiel.
Après avoir chroniqué, il y a un bout de temps, le très sous-estiméThe Fountain (à mes yeux, le sommet du réalisateur), j'ai décidé de revenir lorgner du côté d'Aronofsky pour vous chroniquer son tout premier film au nom énigmatique de Pi. Je ne vous apprendrais rien en disant en vous expliquant que ce curieux chiffre n'est rien de plus que le rapport constant de la circonférence d'un cercle à son diamètre.
Mais nous ne sommes pas sur un blog de mathématique ou de numérologie, donc on se passera volontiers de ce domaine, ma foi, fort intéressant mais que je n'arrive pas, à mon grand malheur, à gérer correctement. Vous savez, la fameuse bosse des maths... Soit, Aronofsky a eu la chance d'avoir un certain budget pour la réalisation de son premier long-métrage. Une bagatelle de 60 000$ que l'équipe du film parvint à obtenir en allant voir toutes les personnes qu'elle connaissait pour leur demander 100$, en leur promettant que si le film marchait, ils récupéreraient 150$, ce qui fut le cas.
Le nom des participants se trouvant, d'ailleurs, dans la longue liste de remerciements à la fin du générique. Reste à voir si ce système audacieux fut payant et put accoucher d'une oeuvre intelligente et stimulante.
ATTENTION SPOILERS : Max Cohen est un jeune mathématicien surdoué qui pense comme Galilée que « la nature est un livre écrit en langage mathématique ». Il cherche partout une suite, notamment en analysant les valeurs de la Bourse ou les spirales du vivant. Habitant seul son appartement, il analyse la suite des décimales du nombre π avec un ordinateur qu'il a lui-même fabriqué et qui occupe la plus grande partie de son appartement. Plusieurs personnes s'intéressent de près à ses recherches : son ancien directeur de thèse (ayant, lui, abandonné l'idée de trouver une séquence parmi les décimales de π), une femme liée aux affaires de Wall Street ayant accès à un matériel informatique très performant et un groupe de Juifs orthodoxes qui pensent que la Torah, lorsqu'on la représente avec des nombres à la place des lettres, contient le vrai nom de Dieu (parce qu'il est censé s'écrire en 216 caractères).
Son travail, qui s'apparente à une quête sans fin, finit par virer à l'obsession. Frappé de migraines intenses et d'hallucinations, Max s'isole et sombre dans un délire paranoïaque.
Ce qui est plaisant est de voir que nous tenons ici un synopsis original car se basant sur l'univers complexe des mathématiques et de la numérologie. Un pari risqué qui peut vite déboucher sur une catastrophe majeure si le réalisateur ne sait pas contrôler et gérer son récit de manière pensée et réfléchie. Mettre en forme un scénario sur les énigmes mathématiques n'est pas à la portée du premier crétin venu. Peut-on dire que le pari est réussi ? Il y a du bon et du moins bon. Ne vous attendez donc pas à ce que je sois dithyrambique concernant tout ceci.
Ainsi, dès le début, on est surpris de voir que Aronofsky développe son récit en noir et blanc, un choix risquéà l'heure du tout en couleur. Un choix, cependant, intelligent et permettant d'apporter une certain cachet au film. C'est dans ce climat étrange que nous retrouverons Max Cohen, un intellectuel surdoué et féru de mathématiques, désincarné de toute pensée spirituelle et humaniste. En effet, Max estime que l'univers entier est une série d'équations, et donc de séquences successives et que tout phénomène naturel n'est rien d'autre qu'une séquence. Par cette pensée, Aronofsky déshumanise son héros qui conçoit le monde et la société comme une suite de chiffres dont il est nécessaire de trouver l'équation. Il n'est donc pas étonnant de remarquer que Max ne croit en aucune forme de présence ou autre entité supérieure. S'écartant de toute religion et ayant développé au cours du temps, une certaine forme de misanthropie, Max s'est retranché dans un travail acharné pour résoudre l'énigme du nombre pi.
Pour Aronofsky, c'est l'occasion d'effectuer une profonde analyse de la psychologie humaine, soumise à une question dont elle ne parvient pas à trouver une réponse et qui refuse d'y faire face. Il en résulte alors une quête obsessionnelle aboutissant à une lente déréliction mentale. Oui, Pi peut s'apparenter à un film où l'obsession devient mère destructrice, le tout dans un cadre se démarquant d'une certaine forme de conformisme. Et comme toute obsession, la fin ne peut s'accompagner que de mauvais présages. S'il y a bien quelque chose qui impressionne dans l'oeuvre, c'est ce gros travail effectué au niveau de l'ambiance. Si l'on peut critiquer Aronofsky sur plusieurs points, il faut au moins reconnaître que celui-ci sait mettre en place un certain cadre.
En l'occurrence, Pi se démarque par une atmosphère lourde, malsaine et oppressante. Oppressante par cette omniprésence de l'informatique et de toute cette technologie de pointe s'étant immiscé avec le temps dans le quotidien humain. Une telle observation ne peut que rappeler le chef d'oeuvre Tetsuo qui mettait en garde l'humanité des dangers de la technologie et dont on soupçonne le réalisateur de s'être inspiré fortement de l'esthétique étouffante du cyberpunk japonais.
Malsaine aussi par la répercussion de la pensée vacillante et de la maladie mentale chronique de Max sur son quotidien. Une maladie se caractérisant par des migraines insupportables qu'il ne parvient pas à réfréner et qui nous offre, à plusieurs reprises, des passages hallucinatoires. A ce niveau, nous ne pouvons qu'être comblé par le trait dérangeant émanant de Pi. Et ceci sera aussi renforcé par une bande son, composée par le talentueux Clint Mansell, aux tonalités industrielles de grande qualité. Certes, avoir une esthétique de qualité est très bien mais dans un scénario pareil, l'intrigue doit être pensée de A à Z et c'est là que le bât blesse. Pi, à peu de choses près, est ce genre de film qui essaie de se faire passer pour intello alors qu'il n'en possède pas toutes les clés.
Oui, on apprécie la complexité, quasi surnaturelle, de ce nombre recelant bien de mystères mais le film tient à raconter trop de choses sur peu de temps. Pire encore, malgré une courte durée, on décèle de nombreux passages à vides et/ou inutiles. Je dois avouer que c'est le genre de truc très rare à observer dans le cinéma. Un film court avec de trop grandes ambitions scénaristiques, se permettant le toupet d'offrir du vide par moment. Aronofsky part, à la fois, du côté du monde occulte de la finance agissant dans l'ombre et de l'autre, du côté religieux avec l'énigme mathématique retrouvée dans la Torah.
Vous rajoutez àça, la psychologie défaillante de Max et ça fait un peu beaucoup pour une durée d'à peine, un peu plus, de 1h20. Du coup, on sent à plusieurs reprises que Aronofsky ne sait pas sur quel pied danser et l'histoire perd son fil conducteur. Au final, on a un goût de trop peu car on ne comprend pas trop le but de la dernière partie du film, avec, en prime, un fin quelque peu décevante. J'ai toujours défendu Aronofsky des critiques lui reprochant son trait prétentieux mais nous sommes bien au regret de dire que Pi ne peut pas être défendu car le trait pseudo-intelligent est justement pseudo-intelligent car moyennement bien exploité. On a là un deuxième phénomène problématique : un récit ordonné déviant vers la fin de son objectif. C'est râlant et ça descend fameusement la note d'une oeuvre qui aurait pu vraiment être excellente si la durée avait été plus longue et si les idées étaient claires et concises dès le départ.
Pour ce qui est de l'aspect technique, là on retourne de nouveau dans la section des bons points. L'image en noir et blanc se pare d'un certain style avec ce trait granuleux prononcé apportant une tonalité expérimentale bien présente. Les plans sont beaux malgré des décors exigus et les cadrages reflètent bien ce qui se passe à l'écran. On appréciera aussi cette audace d'avoir mis en application plusieurs expérimentations de mise en scène entre des transitions rapides ou une caméra turbulente au style found-footage dans les moments de poursuite. Cette complexification crée quelque chose se vivant au niveau cérébral, mais qui sera préalablement gâché par une narration absconse, comme je disais avant.
Pour ce qui est du casting, Sean Gullette, interprétant Max, habite son personnage et parvient à nous gratifier d'un jeu d'acteur solide dont on ressent toute la folie obsessionnelle résonnant en lui. Ses dialogues seront souvent savoureux. Et c'est à peu près tout vu que les autres personnages ne présentent guère d'intérêt et sont déjà occultés de base. La décence professionnelle me dit de les mentionner mais rien de très folichon avec Mark Margolis, Ben Shenkman, Pamela Hart, Stephen Pearlman ou encore Samia Shoaib.
En conclusion, Pi est l'exemple même de film inégal se parant de qualités exemplaires et de défauts rédhibitoires. Si le contexte est original et intéressant, que l'ambiance est impeccable et que la prestation de l'acteur principal est plus que convaincante, on a aussi du gâchis. Ce gâchis concernera essentiellement la narration évanescente se perdant dans un dédale mal amené, sur les bords, et dont la folie paranoïaque du héros n'excuse en aucun cas le procédé. Au final, que raconte le film ? Une histoire d'homme sombrant dans la folie face à un problème qui le dépasse ?
La désillusion d'un mystique croyant en ses chiffres comme d'autres croient en Dieu ? C'est d'autant plus dommage que la numérologie est un domaine vraiment passionnant. A cela, vous rajoutez quelques baisses de rythme et vous obtenez un résultat en dent-de-scie qui, contre toute attente, parvient quand même à captiver en permanence l'attention du spectateur. Comme quoi... Reste que Pi insuffle en nous des questionnements mathématiques qui nous donneraient presque envie de s'y jeter. La nature tant terrestre que cosmogonique ne serait-elle que le fruit d'équations et de séquences ? Je vous laisse méditer là-dessus.
Note :13/20