Genre : Drame, thriller (interdit aux - 12 ans)
Année : 1995
Durée : 2h58
Synopsis :
En 1973, Sam "Ace" Rothstein est le grand manitou de la ville de toutes les folies, Las Vegas. Il achète et épouse une virtuose de l’arnaque, Ginger Mc Kenna, qui sombre bien vite dans l’alcool et la drogue. Mais un autre ennui guette Sam, son ami d’enfance Nicky Santoro, qui entreprend de mettre la ville en coupe réglée.
La critique :
Est-il encore nécessaire de parler de l'un des cinéastes contemporains les plus prodigieux en la personne de Martin Scorsese ? Acclamé au plus tôt de sa carrière avec Mean Streets, le cinéaste a su enchaîner avec succès classiques sur classiques qui lui ont valu d'être vénérés aujourd'hui par le monde cinéphile. Certes, comme tout réalisateur, il n'a pas pu échapper aux hauts et aux bas. En effet, il semblerait qu'il ait très mal vécu le cuisant échec commercial New York New York et cela sera une porte d'entrée pour lui dans la consommation de cocaïne. Je ne parle bien sûr pas d'un petit rail par-ci, par-là mais d'une prise excessive. Un passage à vide s'opère en termes de filmographie, en même temps que Scorsese est fatigué tant sur le plan intellectuel, physique et psychologique.
La raison se trouvant forcément dans cette forte dépendance à l'ester méthylique de la benzoylecgonine (ou simplement cocaïne si vous préférez). Raging Bull sera un second tremplin pour remonter au-devant de la scène et toute une flopée de chefs d'oeuvre suivront dans la foulée. Aucun doute, il est bien de retour parmi nous et va nous le faire, une fois de plus, savoir avec son Casino sorti en 1995.
Il s'agit de son seizième long-métrage et de la huitième collaboration avec le géant Robert De Niro, la dernière avant une interruption de 22 ans. L'histoire est basée sur un ouvrage de Nicholas Pileggi qui a cosigné le scénario avec le réalisateur. Une histoire réelle étant axée sur la vie de Frank Rosenthal qui dirigeait plusieurs casinos à Las Vegas pour le compte de la mafia de Chicago dans les années 1970 et au début des années 1980, ainsi que d'Anthony Spilotro, dit "Tony la fourmi" pour les intimes. Un gangster envoyé par le boss de cette mafia pour protéger Rosenthal. Mieux encore, certaines séquences clés seront tout à fait authentiques aux événements réels.
A sa sortie, Sharon Stone remporta le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film dramatique. Si l'on excepte deux Rubans d'Argent, la suite sera une succession de nominations aux récompenses les plus prestigieuses. De leur côté, les critiques amateurs exaltent, de même que celles des cinéphiles. Cependant, une réputation un peu maudite collera à la peau de cette pellicule que certains verront comme une suite voire une copie de Les Affranchis.
ATTENTION SPOILERS : Au début des années 1970, Sam « Ace » Rothsteinest envoyéà Las Vegas par la mafia de Chicago pour diriger l'hôtel-casino Tangiers financé en sous-main par le puissant syndicat des camionneurs et qui sert de paravent à la mafia. Il a un contrôle absolu de toutes les affaires courantes, et gère d'une main de fer cette « terre promise », tandis que l'argent coule à flots. Le Tangiers est l'un des casinos les plus prospères de la ville et Ace est devenu le grand manitou de Vegas, secondé par son ami d'enfance, Nicky Santoro. Mais celui-ci va peu à peu prendre ses distances pour s'engager dans un chemin plus sombre et criminel.
Impitoyable avec les tricheurs, et obsédé par la maîtrise de tous les événements, Rothstein se laisse pourtant séduire par une prostituée, Ginger McKenna, virtuose de l'arnaque et d'une insolente beauté. Fou amoureux, il lui ouvre les portes de son univers, l'épouse et lui fait un enfant. Mais leur relation se révèle être à l'image de Las Vegas, scintillante en apparence, mais en réalité rongée de l'intérieur.
Les premières minutes nous mettent déjà dans l'ambiance avec ce Sam Rothstein montant au volant de sa voiture, explosant soudainement. Dans un générique quelque peu psychédélique, on ne doutera pas une seconde que c'est un grand film qui va s'offrir à nous et nos impressions ne feront qu'être corroborées avec cette très longue séquence d'introduction. Scorsese a décidé de nous emmener faire un tour au sein de Las Vegas, cité artificielle du vice, du pognon, des putes et de la coke. Une décadence construite au beau milieu d'un désert aride et devenu, oh le grand cliché !, un coin paradisiaque d'enterrement de vie de garçon et de bad trip prévu d'avance avec des potes (petit clin d'oeil aux jouissifs, sauf le troisième, Very Bad Trip au passage). Oui, c'est beau et beaucoup, dont moi, rêvent d'y aller un jour à la vue de tous ces casinos clinquants et ces hôtels irréalistes.
Cependant, Vegas est aussi le théâtre d'activités douteuses et ces casinos sont souvent loin de la pseudo innocence d'encaisser votre argent durement gagné, vu qu'ils sont en étroite relation avec des grandes pontes du milieu criminel. Scorsese va nous donner une fresque grandiloquente de 180 minutes de bobine sur la face cachée loin des délires alcoolisés et psychotropes. Un scénario d'apparence simple : Rothstein est un homme peu fréquentable envoyé par la mafia pour diriger un hôtel-casino. Celui-ci aspire à son petit empire paisible, sans quelconque fioriture mais implacable envers les arnaqueurs. Dans cette existence bien rangée et luxueuse, il partage une partie de sa vie avec un ami impulsif et psychopathique du nom de Ricky Santoro. Néanmoins, une mante religieuse délurée et vénale va bientôt aussi rentrer dans sa vie.
Tout roule pour le mieux : une vie paisible à la fortune considérable, une femme avec qui s'envoyer en l'air, des relations haut placées et un petit bambin tout fraîchement venu au monde. Tout irait pour le mieux si certains éléments n'allaient pas commencer à malmener ce fragile équilibre. Ginger ne peut oublier son ancien mari paumé, Nicky Santoro a des ambitions un peu trop dangereuses au sein de Vegas et certains arrangements avec des policiers peu scrupuleux commencent à s'effriter. Rien ne dure jamais comme un certain monsieur l'aurait dit ! Casino, à la manière de Les Affranchis, va narrer la fabuleuse ascension d'un héros et la chute qui en suivra. Telle une étoile filante traversant le ciel pour disparaître ensuite, tel sera le déclin d'un Sam qui ne demandait qu'à gérer tranquillement son business flamboyant. Pour autant, ne voyez pas en ce Rothstein le héros intègre. Tous les personnages principaux sont à l'image de Vegas : empreints de classe physiquement mais sales psychologiquement.
Ces individus se fondent parfaitement dans un environnement qui a fini par happer leur âme. Ginger n'aspire qu'à toucher des liasses de billets, Santoro veut, à peu de choses près, devenir le Jules César de Vegas. Les relations de Sam sont des pourris au courant du système malhonnête et amoral dont ils sont des rouages indispensables. Sous son raffinement sans égal, Casino est avant tout un thriller pointant l'obscurité de l'âme humaine.
Scorsese met en scène des êtres dont l'humanité est pervertie par les maux du business show : le luxe, la vanité, le matérialisme, l'hédonisme décadent. Des êtres qui ont bafoués leur morale et leur éthique en échange de quelques billets et d'une éphémère gloire, quitte à recourir aux actes les plus bas et les plus vils. Certes, on peut dire que Sam n'est pas le pire cas du film. Sa santé mentale sera aux prises face à la tournure des événements mais jamais il ne commettra d'actes dangereux pour une réputation qu'il a à tenir. L'air de rien, sous son costume de serpent, se cache une indestructible vision de la vie : gagner, toujours atteindre le sommet et le défendre bec et ongles. Une pensée élitiste qui n'est pas mauvaise, très loin de là, mais encore faut-il voir dans quel domaine on veut se hisser sur le toit du monde. Le business show promet aussi de briser les liens d'amitié durables entre Sam et Nicky.
Encore une fois, la luxure et l'envie peuvent corrompre n'importe quoi et même les amitiés sacrées. Et oui, contrairement à ce que certains peuvent croire, l'argent n'est pas une source authentique de tranquillité ! Chaque classe a ses propres soucis. Ce qui est sûr est que chacun sombrera, que ça soit Nicky à la manière du mythe d'Icare, Ginger et son amour un peu trop prononcé pour la cocaïne. Seul Sam aura la moins pire chute, sans jamais retrouver la fougue de son ancienne vie.
En Casino réside une gigantesque tranche de vie pour le moins passionnante de ces différents destins entremêlés s'aimant pour se détester de plus en plus. Le style si particulier et professionnel du cinéaste laisse pantois et l'attraction est systématique. Sous ses dehors de film auquel il faut se réserver toute la soirée pour le visionner en entier, difficile de voir le temps passer. La mise en scène accroche et ne nous relâche jamais. Les trois heures passent comme une lettre à la poste au vu de l'intensité omniprésente. Aucun temps mort n'est à noter, ce qui est prodigieux pour une telle durée. On se plaira beaucoup à l'exercice de style d'intégrer une voix off omniprésente commentant l'action. Cela parvient, à mon goût bien sûr, à amplifier l'accroche.
A cela s'ajouteront des séquences impitoyables de meurtres et de bassesse. Chose qui ne peut que prouver encore la déshumanisation de ces personnages entrant dans cette métaphore du jardin d'Eden, serpent représentant la tentation de la mauvaise conduite et de la perte de toute humanité.
Au niveau esthétique, Vegas n'a probablement jamais été aussi clinquante et pour cause, Scorsese choisit de tourner dans un casino plutôt que dans un studio, cherchant absolument le réalisme. Les prises de vue eurent lieu au Riviera pendant un mois de nuit entre 1 et 4 heures du matin. Le moins que l'on puisse dire est que ce fut payant tant l'univers est d'une crédibilitéà couper le souffle. Les plans, cadrages, luminosités, tout est aux petits oignons. Cette patte visuelle si "thriller années 80-90" colle parfaitement à la peau de Casino, encore une fois, pour notre plus grand bonheur. La bande son est tout autant dans le thème. Pour ce qui est de la prestation des acteurs, Robert de Niro crève, comme à son habitude, l'écran dans la peau de ce Sam Rothstein. Il est entièrement intégréà son personnage, atteignant des sommets inatteignables pour un grand nombre d'acteurs.
Incohérent le fait qu'il n'ait pas reçu, ne fut ce, qu'une seule nomination. Sharon Stone est, à la fois, repoussante, fascinante et resplendissante en incarnant cette vipère cocaïnomane de Ginger. Sans aller jusqu'à son célèbre jeu de jambes de Basic Instinct, elle a le chic pour ne pas détacher notre regard de ses... hum... hum... yeux. Enfin, l'interprétation de Nicky par Joe Pesci est admirable en tout point. Ce triptyque brille dans le ciel du Nevada.
En conclusion, Casino est sans nul doute une autre très grande réussite de Monsieur Martin Scorsese pouvant s'enorgueillir d'un casting prestigieux sous fond d'un récit houleux tournant autour de l'univers maffieux, de la fidélité et de la trahison. L'argent ne dort jamais, tel semble être l'un des credo de ce long-métrage passionnant en tout point. Il n'est pas évident de maintenir l'attention du spectateur durant près de 3 heures mais Scorsese y est arrivé avec brio et nous ne pouvons qu'applaudir à la fin devant ces destins sur l'ascendant sombrant, par la suite, dans une chute inéluctable.
Pensé, millimétré en tout point, Casino peut être considéréà juste titre comme un grand classique du cinéma contemporain. Il montre que des films à gros budget peuvent être intelligents et fascinants, sans verser dans la crétinerie à grand renfort d'explosions et de stéréotypes. Scorsese prouve toute son érudition et s'illustre indubitablement comme l'un des meilleurs de notre époque. Les thuriféraires de De Niro seront ravis d'apprendre que le projet The Irishman reverra cette collaboration légendaire entre lui et Scorsese. Sortie prévue bientôt pour 2018-2019. Quoi qu'il en soit, Vegas, sous ses travers de fantasme lumineux, se montre bien loin de l'extravagance innocente, des soirées arrosées et des parties endiablées de bridge. Qui sait... En vous baladant dans le désert de Mojave, vous trouverez peut-être, en regardant le sol, la tête d'un pauvre malheureux qui, autrefois, eut la mauvaise idée de ne pas dompter correctement Vegas.
Note :18/20