Genre : Drame, expérimental, fantastique, inclassable
Année : 2009
Durée : 1h50
Synopsis :
Histoire d’un homme d’âge mûr qui se retrouve dans le même genre de forêt obscure que celle que décrit Dante. Un problème inhabituel s’immisce dans sa vie calme et modérément aisée : une question de morale. Est-il possible d’être une bonne personne ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce qu'on y gagne ? Dans son parcours vers une conscience plus tranquille mais dans une réalité de plus en plus compliquée, Tony rencontre des spécimens typiques de la société estonienne actuelle et vit des aventures excitantes et amusantes. Lentement et comme inévitablement, il perd son emploi, sa famille, son sens de la réalité, et se perd lui-même.
La critique :
Aujourd'hui, je me retrouve bien embêté en vous confiant que je ne sais pas vraiment quoi dire sur ce que j'ai vu hier en dernière partie de soirée. Pourtant, il m'est impensable en tant que chroniqueur de ce blog sulfureux et atypique de ne pas vous toucher un mot là-dessus. D'habitude, à la rédaction d'un billet, j'ai généralement la plupart des idées en place, même s'il arrive parfois de lire des analyses pointilleuses après visionnage pour bien cerner la chose et avoir un autre niveau de lecture qui coïnciderait ou non avec le mien. Sauf que dans le cas présent, le flou est total et c'est donc le feeling qui prendra la place en laissant mon raisonnement s'écrire au fur et à mesure des phrases par une déduction, je l'espère, logique. A dire vrai, j'ai déjà eu ça par le passé mais c'était tout de même suffisamment rare pour être souligné. N'allez pas croire que la déception se lise sur mon visage vu mon attrait pour la diversification de chroniques suivant le genre, le style et l'époque.
Votre perspicacité vous aura amenés à vous dire que ce n'est pas un simple film dont il s'agit, mais d'un truc beaucoup plus obscur, beaucoup plus difficile à appréhender. Bref, c'est de l'expérimental pur jus que je vous propose le sourire aux lèvres en tapant machinalement sur mon clavier, laissant le soin à mon inconscient de dicter ce que je dois écrire.
Et puis, outre cette problématique que certains jugeront indécente, c'est aussi une occasion rêvée, en diamant quatorze carats, pour me complaire dans le cliché typique du cinéphile hipster, sortant des pellicules nébuleuses des abysses du Septième Art. Parce que nous n'allons pas parler des pays très productifs en termes de réalisation, mais bien d'une nation qui fait sa grande première apparition sur Cinéma Choc. Est-ce que ça vous dirait que Taratata le hipster cliché vous branche avec le cinéma estonien ? Et en noir et blanc car il s'agit d'être hipster jusqu'au bout des ongles ! Toutefois, on précisera de dire qu'il s'agira d'une co-production avec la Suède et la Finlande. Mais que soit, n'allez pas croire que je sois un grand spécialiste de ce cinéma assez peu, voire même très peu connu.
C'est d'ailleurs là mon tout premier film et le futur me dira si ça sera déjà le dernier. L'estonien qui aura cet immense privilège d'être dans nos colonnes est Veiko Ounpuu (à faire dire aux dyslexiques pour vous faire frapper dessus ensuite). Ayant démarré sa carrière en 2006 avec un moyen-métrage du nom de Tuhirand, il passe au format long-métrage l'année suivante avec Autumn Ball qui, selon mes sources, aurait eu un franc succès au festival de Venise. C'est enfin deux ans plus tard qu'avec de beaux fonds financiers à la clef, Ounpuu se lance dans The Temptation of St. Tony.
ATTENTION SPOILERS : Histoire d’un homme d’âge mûr qui se retrouve dans le même genre de forêt obscure que celle que décrit Dante. Un problème inhabituel s’immisce dans sa vie calme et modérément aisée : une question de morale. Est-il possible d’être une bonne personne ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu'est-ce qu'on y gagne ? Dans son parcours vers une conscience plus tranquille mais dans une réalité de plus en plus compliquée, Tony rencontre des spécimens typiques de la société estonienne actuelle et vit des aventures excitantes et amusantes. Lentement et comme inévitablement, il perd son emploi, sa famille, son sens de la réalité, et se perd lui-même.
Tâchons de tracer les grandes lignes de ce titre avant de s'évertuer à analyser tout ce programme. Comme nous l'indique le synopsis, nous pénétrons dans le quotidien d'un homme d'un certain âge, probablement la quarantaine qui ne peut s'accompagner que de la fameuse crise. Il n'a pas échoué dans sa vie mais ne semble pas heureux pour autant. Manager que l'on soupçonne être bien placé dans la hiérarchie de son entreprise vu sa situation plutôt aisée, il s'est marié, a une femme et une belle villa. En l'occurrence, l'Estonian Dream a été coché positivement sur sa to do list. Mais à cet âge, beaucoup de questionnements sont au programme dont un certain nombre, bien perchés, qui éclateront dans la tête de notre pauvre hère. C'est l'âge où l'on se remet en question, où nous réfléchissons sur le temps qui passe, sur ce que l'on a réussi et échoué. C'est l'étape incontournable du bilan de la vie qui se poursuit avec la cinquantaine. Etant encore très loin de tout ça, je m'en porte plus que bien !
Ce mâle du nom de Tony, en se perdant dans une forêt toute sauf chaleureuse, va faire la découverte d'un gros tas de mains coupées baignant dans un marécage. C'est là que commence véritablement notre histoire.
Tony n'est ni un héros, ni un guide. Il se laisse porter par le vent de sa propre existence mais, de plus en plus, cherche à redéfinir son tracé qu'il n'a pas guidé comme il l'aurait voulu. Il part en quête d'une morale et des avantages que l'on peut en tirer. Dans ses pérégrinations qui ne semblent guider par un aucun fil conducteur tangible. Ces paysages désolés de la campagne estonienne vont le mener à côtoyer des gens étranges, ayant tous leurs maux en eux, mais certainement pas la morale au sens religieux. Car la religion enseigne une morale qui lui est propre mais pour Tony, il n'en voit pas trop l'intérêt à tout ça. Et si au final, ce qu'il désirait n'était tout simplement pas de s'affranchir de toutes les règles dans lesquelles il s'est enfermé ? Et si la prétendue morale était de goûter à la liberté, à retrouver son libre-arbitre et d'outrepasser les conventions ? L'incursion d'un chien dans son foyer au grand dam de son épouse, son batifolage avec une jeune et belle femme, sa prise de distance avec son métier sont autant d'observations magnifiant la liberté individuelle. Ne plus être soumis au marché du travail et au foyer familial sont un premier pas pour Tony qui sombrera, en prime, dans une batterie de réflexions ontologiques.
Il se demande s'il est bon et même si une telle chose directement observable par nos sacro-saints yeux existe vraiment (cf le van).
En remettant perpétuellement en question la réalité, sa réalité, Tony, de plus en plus, en vient à se couper du monde. Moult scènes dans lesquelles il se trouvera prennent un sens nouveau, certaines semblant n'être qu'une illusion créée par son subconscient. Elles ne répondent à aucune logique, étant plus proches du rêve que de la réalité. La production de ces mains coupées a une origine mystérieuse, jamais expliquée et n'a rien de crédible. Où se situe la frontière entre fantasmagories et réel ? Quand une étrange femme flottant au-dessus du sol apparaît, que veut-elle dire ? The Temptation of St. Tony dénote par un esprit excessivement surréaliste, un produit purement sensoriel qui semble être un mix entre Andreï Tarkovski, Béla Tarr et une bonne dose de Guy Maddin. Vous comprenez alors sur quel territoire nous évoluons. Ce mélange reprenant philosophie, pessimisme et onirisme est aussi déroutant qu'il interroge. Le film a une vraie âme, sauf que, à force de trop verser dans l'ambiguité, il finit par perdre son spectateur tentant de démêler un récit éclaté constitué d'ellipses brutales et de chronologie distordue.
Le propos est trop sibyllin pour convaincre efficacement sur la durée malgré une indéniable ambiance. Les racines de ces trois cinéastes de génie se retrouvent sans que leur talent n'atteigne des strates dignes de ce nom.
En optant pour un noir et blanc somme toute classique, Ounpuu offre une dimension qui ne se serait pas profilée avec la couleur. Cet impératif qu'il est difficile de ne pas rapprocher de l'esprit de Béla Tarr ou, dans la littérature, de Dante obscurcit le chemin de vie de Tony en le rapprochant d'une vacuité existentielle, d'un paradigme faussé. L'ensemble est beau et les décors parfois désolés rajoutent un plus au désespoir ambiant. On aura bien du mal à ne pas cacher notre admiration de la nature balayée par les éléments, des arbres décharnés accueillant un mal profond. Une bonne note est à accorder à la partition sonore atypique mêlant autant la musique techno que les chants ou les mélodies mélancoliques. Cet éclectisme pourra faire tiquer ou alors plaire, ce qui est mon cas pour cette dernière option. On aura, en revanche, quelques difficultés à statuer sur le jeu d'acteurs tant les personnages sont monolithiques, déshumanisés, vampirisés par leur propre mal-être.
Même si je doute que vous les connaissiez, je citerai le casting composé de Taavi Eelmaa, Ravshana Kurkova, Tiina Tauraite, Sten Ljunggren, Denis Lavant, Rain Tolk, Katariina Unt, Harri Korvits, Taavi Teplenkov et Marika Barabanstsikova (à vos souhaits !).
Que puis-je dire en guise de conclusion finale si ce n'est qu'il y a des chances que vous soyez convaincu ou alors que vous n'aimerez aucunement cette expérimentation jusqu'au-boutiste ? A travers la remise en cause de ce qui l'entoure, le périple de Tony pourra paraître aussi audacieux qu'abscons. Difficile de ne pas occulter une mise en scène que certains jugeront prétentieuse par sa manière de vouloir trop en faire pour au final peu de chose. Divisée en plusieurs actes, la narration construite sur l'immobilisme ne peut cacher quelques fulgurances de séquences absurdes du plus bel effet mais reste qu'un arrière-goût persiste, arrivé au générique de fin. The Temptation of St. Tony est typiquement la création qui ne peut que créer un débat ardent sur la perception de chacun.
De mon point de vue, il n'est que la matérialisation des hésitations et des regrets omniprésents d'un Tony qui ne parvient plus à aimer sa vie telle qu'il l'a construite. Maintenant que je suis arrivé au bout de cette chose parfaitement non notable, je vais enfin pouvoir reposer mon cerveau.