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Noisy Requiem (Le bal des âmes errantes)

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Genre : Expérimental, drame, inclassable (pas d'interdiction mentionnée mais...)

Année : 1988

Durée : 2h30

 

Synopsis :

Le film suit plusieurs personnages tous plus ou moins exclus du système : un mendiant pervers, un criminel obsédé par sa poupée-mannequin, un couple de nains... En prologue, le cinéaste laisse cette phrase : "I dedicate this film to Mr Hikaru Yamagiwa... and to all the lost souls."

 

La critique :

Décidément, le destin peut, parfois, se révéler être très cocasse. Il y a des fois où l'intervalle entre deux oeuvres étranges est honteusement long et d'autre part, il arrive qu'il n'y en ait tout simplement aucun. Ce schéma qui en ferait fuir plus d'un chroniqueur, je le vis actuellement ici avec non pas deux longs-métrages d'affilée mais trois. Autant vous dire que mes neurones restants travaillent très bien ces derniers temps sur Cinéma Choc. Ca devait arriver mais il n'est plus question ni de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, ni de ce charmant pays qu'est l'Estonie mais bien d'un retour aux sources sur mon pays le plus plébiscité. L'affiche vous aura mis la puce à l'oreille puisque oui, il s'agit du Japon, encore une fois. Je me dis qu'un jour, il faudra que je fasse l'inventaire de tous les films nippons dont je vous ai parlé, juste pour me rendre compte. Effacez toute hantise sur votre visage car non, il n'y aura pas un autre segment dédiéà la Nouvelle Vague japonaise sur le blog. L'an de grâce 1988 suffit à vous le prouver.
On se baignera alors dans les eaux controversées du Septième Art expérimental "tout simplement" qui fait office de répulsifs pour certains, vu leur construction avant-gardiste et/ou purement perchée. De véritables OFNI (objets filmiques non identifiés).

Cela ne vous étonnera pas vraiment que le Japon a su tirer son épingle du jeu de ce côté-là. Et l'on peut remonter très loin si on se risque à une légère exégèse, précisément en 1926, date à laquelle Teinosuke Kinuagasa sortit l'étrange et fascinant Une Page Folle. Ca date et il y a fort à parier qu'il n'y a pas de réel équivalent à cette performance expérimentale dans nos contrées en cette époque. De làà voir la toute première création de ce style, il y a un pas que je ne franchirai pas. Que soit, un nouveau démiurge peut avoir l'honneur incommensurable, presque divin, d'être présenté ici-même et il s'agira de Yoshihiko Matsui. Il y a des chances que certains d'entre vous ne le connaissent pas et pour cause, sa filmographie semble être inédite chez nous. Peut-on supposer que son très mince travail ait été une raison des éditeurs de ne pas s'y intéresser. Un moyen-métrage et seulement trois longs-métrages à noter avec une pause de 19 ans entre les deux derniers ! On fait vite le tour, pour peu que nous parvenions à tomber sur toute sa collection, de Rusty Empty Can (1979) àWhere are we going ? (2007).
Visiblement, il semblerait que dans tout ça, une oeuvre se soit un peu plus fait connaître à l'international et il s'agit de Noisy Requiem, que j'avoue avoir découvert un peu par hasard et sans trop me souvenir. 

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ATTENTION SPOILERS : Le film suit plusieurs personnages tous plus ou moins exclus du système : un mendiant pervers, un criminel obsédé par sa poupée-mannequin, un couple de nains... En prologue, le cinéaste laisse cette phrase : "I dedicate this film to Mr Hikaru Yamagiwa... and to all the lost souls."

On m'aurait dit avant de débuter la séance que la maison de production ATG était derrière tout ça que j'y aurais cru sans la moindre once d'hésitation. Ce que nous voyons ici même s'inscrivant typiquement dans la politique très artistico-intello des directeurs. Le projet qui ferait fuir les investisseurs des plus grandes entreprises cinématographiques mais qui aurait été accueilli à bras ouvert par l'ATG. Il n'en sera rien et je dois avouer ne pas avoir trouvé beaucoup d'infos là-dessus. Noisy Requiem repose sur un concept aussi simple qu'enfantin qui est de suivre le quotidien de plusieurs personnages qui n'entretiennent presque aucun lien physique entre eux. La seule différence ici est qu'il est inutile de s'attendre à toute lueur d'optimisme ou tout simplement d'humanité.
Matsui va représenter la société japonaise underground en suivant les déambulations de marginaux, de ceux qui ne s'inscrivent pas dans le conformisme, dans les conventions étriquées élevées comme des piliers indéfectibles à respecter à tout prix. Pour eux, il n'y a pas de règles qui tiennent et la morale a tout le mal du monde à transparaître à travers leurs actes et leurs choix qui les ramènent à une condition de délaissés, de rejetés et finalement de parias. La civilisation ne les aime pas par leur étrangeté, mais pas que. 

Le portrait des protagonistes que dresse le cinéaste a de quoi faire froid dans le dos. Passant de la vie de l'un à l'existence de l'autre, on est amenéà faire la rencontre de personnes que la plupart d'entre nous fuiraient très vraisemblablement. Un misogyne exécrant les femmes en se complaisant dans une relation obsessionnelle avec un mannequin sur le toit d'un immeuble, un clochard dépravé incapable de communiquer comme un être humain, un couple de nains en réalité frère et soeur, une enfant et un garçon qui semblent avoir volontairement quitté la société et dont la relation apparaît étrangement équivoque. Autant de destins hors norme, borderline, qui perturbent et interrogent sur le bien-fondé de leurs pratiques et, certainement, de leur mal-être omniprésent. Les choses qu'ils commettent, hautement répréhensibles de surcroît, ne nous laissent pas indifférent.
Ils tentent de vivre en jouissant de leurs pulsions comme une personne dite normale le ferait. Sans ça, ils ne sont plus que des coquilles vides qui perdront le seul but les rattachant à l'acceptation de vivre en ce monde. Le cinéphile est alors partagé entre son envie de comprendre leurs actes et de condamner leur dégueulasserie, justifiant finalement leur exclusion du système.

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Si les personnages ne font montre d'aucune autoscopie car ils n'en ressentent pas le besoin, le raisonnement est vite fait dans notre tête. Le maniaque s'ébaudissant avec une poupée tient certainement sa déviance du mépris du sexe féminin réel à son égard qui l'a forcéà les maltraiter. La perversité du mendiant semble prendre sa source dans sa misère sexuelle car il est tout sauf attirant pour la gente féminine. Nos charmants nains vivent dans les quolibets et critiques constantes de la population. Preuve en est avec la femme tombant dans le bus, déclenchant l'hilarité générale des personnes âgées, au contraire des deux seuls jeunes qui n'acquiesceront aucun sourire mais plutôt de l'indifférence ou, au mieux, une certaine empathie. Quant aux deux jeunes, la nébulosité qui les enveloppe prêtera à discussion.
Matsui ne s'intéresse finalement que peu à leur psyché, ne développant jamais la tristesse et/ou la colère de chacun. Il les fait s'exprimer en tant qu'humain atypique et c'est à nous que revient le droit de les juger et de statuer sur leur condition. Il ne les condamnera pas plus, se permettant, au contraire, le toupet de les humaniser plus que leur entourage.

En s'enfonçant toujours plus dans le malaise, l'horreur se dévoile dans l'environnement urbain. Ils expriment notre terreur de voir à quel point le genre humain peut répudier toute éthique. Inceste, cannibalisme, viols, meurtres, jalousie, envie, haine et néant corsent l'expérience en excluant le jeune public pour qui Noisy Requiem ne sera pas le film le plus recommandé. J'ose espérer qu'une interdiction est de mise vu la teneur du film qui ne se refuse aucune excentricité. Offrant plusieurs moments de fulgurance, la palme est à attribuer au misogyne qui tabassera sauvagement un aveugle en lui plantant une barre acérée dans la jambe. L'instant d'après, on le voit lécher avec sa langue les fientes de pigeons qui sont tombées sur le visage immaculé de sa douce mannequin.
Tout est normal ! Mais Matsui sait aussi exprimer l'affliction qui découlera surtout de notre tandem d'enfants fragmenté après la mort de la fillette, laissant le garçon jouer à la marelle avec la fille inerte sur son dos pour se rappeler des bons moments passés ensemble. Un passage véritablement superbe.

 

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Néanmoins, et c'est là que l'on passe aux choses sérieuses, c'est qu'il est inutile d'attendre de Noisy Requiem d'épouser le format grand public. Le réalisateur préfère l'immobilisme, le silence pesant, une trame scénaristique qui n'en est pas une, optant pour la désintégration des repères spatio-temporels. Narrativement, le film ne semble rien raconter mais il exprime pourtant une batterie de sentiments aussi touchants que révulsants. Histoire de continuer dans la surenchère et de refroidir certains d'entre vous, la longue durée de tout de même 2h30 sera la composante primordiale de votre attache à l'oeuvre. Prière d'avoir bien dormi la nuit précédente pour éviter de trouver le temps long. Toutefois, ces 150 minutes tiennent leur origine de quelques longueurs fort dispensables.
Même pour un cinéphile aguerri à une telle construction de mise en scène, il les sentira passer. Indéniablement, c'est l'erreur qui empêche Noisy Requiem de pouvoir prétendre au statut de chef-d'oeuvre.

Comme une évidence, l'adoption du noir et blanc aide grandement à la création d'une ambiance autant lumineuse et pure via le blanc, qu'obscur et sans concession avec le noir. Une dichotomie d'une redoutable efficacité et surtout d'une grande maîtrise auquel vient s'ajouter des mouvements de caméra audacieux. Encore une fois, la partie dédiée au fou agressant les deux musiciens vous laissera "savourer" des mouvements d'un jamais-vu. La virtuosité de la caméra à l'épaule, jamais tremblotante, n'est pas sans s'éloigner du caractère documentaire. Un gros point positif à adresser à la composition musicale à tomber quand elle est présente, ce qui est, malheureusement, trop rare.
On pourra enfin se targuer d'un casting de très bonne facture, habitant entièrement leur personnage respectif. On salue les deux acteurs souffrant certainement d'une achondroplasie d'avoir dit oui pour incarner un rôle aussi fort. On mentionnera alors Toshihiko Hino, Simon Kumai, Yukiko Murata, Mamiko Nakai, Dan Oosuga, Kazuhiro Sano et Akane Shirafuji.

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A dire vrai, je ne m'attendais pas à la rédaction d'une chronique aussi longue, pas plus que le vieil adage "la nuit porte conseil" m'a permis de procéder à une approche beaucoup plus pondérée, moins à chaud de ce que j'avais vu. On ne peut contester la lenteur volontairement choisie par Yoshihiko Matsui qui a eu pour objectif de mettre en état de stase quiconque se risquerait à entrer dans l'univers glacial et amoral de Noisy Requiem qui ne pourra que s'attirer les satisfécits de certains ou les acrimonies de ceux qui hurleront à l'imposture. Cru aussi sulfureux que difficile d'accès, il est indispensable de cogiter un peu avant de se prononcer dessus. A tous les intéressés, vous serez heureux de voir que Noisy Requiem est disponible intégralement sur YouTube.
Pour les thuriféraires du support physique, il est facilement trouvable à un prix très démocratique sur un site que, personnellement, je n'ai jamais eu affaire, très méfiant avec les arnaques sur le web. A vous de voir si vous décidez de tenter le coup. Dans tous les cas, il serait dommage de ne pas vous jeter dans cette aventure, véritable bal des âmes errantes d'Osaka qui a rarement autant revêti le manteau noir du désespoir.

 

Note : 15/20

 

orange-mecanique Taratata

 


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